Abauntz, grotte (Arraitz, Navarre, Espagne)

Description

La grotte d'Abauntz est située dans la vallée de l'Ulzama (province de Navarre) à proximité du col de Velate, versant sud des Pyrénées. Rattachée à la vallée de l'Èbre, elle est proche de l'Espagne Cantabrique et de l'Aquitaine, dont elle reçoit les influences les plus importantes. Il s'agit d'un gisement de moyenne montagne, et sa situation stratégique permet de contrôler le passage du gibier, l'accès au versant nord des Pyrénées et les différentes niches écologiques.
Dix campagnes de fouilles y ont été conduites. Les quatre premières campagnes, dirigées par P. Utrilla entre 1976 et 1979 sur la salle I, ont été publiées en 1982. De nouvelles prospections ont été entreprises par P. Utrilla et C. Mazo entre 1988 et 1996 sur la salle II et le couloir intermédiaire, exploitant l'ensemble des niveaux magdaléniens, condamnés par un projet d'édification d'un barrage devant noyer la cavité (Utrilla & Mazo 1993-1994).
La grotte présente un profil général allongé, en tube, où l'on peut différencier trois salles bien délimitées (fig. 1a et b). Après un court couloir d'accès, on trouve la première salle de forme coudée à 90 degrés vers la droite. Un autre couloir conduit à une deuxième salle, la plus large et la plus haute de la cavité. C'est là que se trouve le niveau du Magdalénien final avec lequel s'achève l'occupation magdalénienne de la grotte. Au fond, une troisième salle et son long couloir d'accès renferment uniquement des restes funéraires datés du Chalcolithique. En général, la grotte est un endroit froid et humide, de faible éclairage, possédant aujourd'hui de mauvaises conditions d'habitabilité. Le sol de la grotte, en légère déclivité dans le couloir, descend progressivement jusqu'à la deuxième salle, point le plus bas de la grotte.
La stratigraphie de la grotte comprend à sa base un niveau (h) Paléolithique moyen MTA (45/47 000 ans), suivi, après un épais niveau stérile (g), de plusieurs niveaux d'occupation du Paléolithique récent : un du Solutréen supérieur (f), deux niveaux magdaléniens (e2 et e1/2r, datés par 14C-AMS de 13 500 ± 160 (OxA-5963) soit 16 786-15 806 cal BP pour le Magdalénien moyen et 11 760 ± 90 BP (OxA-5116) soit 13 765-13 431 cal BP pour le Magdalénien final), et un niveau azilien (d). Les niveaux protohistoriques sont du Néolithique (b4/1r) (5 820 ± 40 BP), suivis de plusieurs dépôts funéraires du Chalcolithique (b1 et b2) (4 370 ± 70 jusqu'à 3 900 ± 35 BP) et d'une occupation du Bas-Empire romain (a) au ve siècle. On peut ainsi reconnaître un habitat sporadique pendant l'occupation moustérienne, azilienne et néolithique ; une halte de chasse dédiée à la réfection des pointes de trait au Solutréen supérieur ; un habitat estival bien organisé au Magdalénien moyen, occupé de mai à novembre ; une grotte funéraire pendant le Chalcolithique et enfin, une cachette à l'époque des invasions barbares.
Le niveau e1/2r (Magdalénien final) présente une texture fine et souple, très fortement teintée de rouge. On a répertorié trois foyers creusés dans le sol du niveau e2 (Magdalénien moyen). C'est à proximité de ces foyers qu'ont été trouvés les deux blocs aux bouquetins : le bloc 1 (foyer du carré 11B) et le bloc 2 (foyer 23E-23D). Un troisième bloc (carré 19E) représente une belle tête de cheval. Les blocs font partie d'un pavage parmi d'autres blocs sans décors et ne semblent pas de ce fait avoir eu une position privilégiée dans la salle.

Iconographie

L'art mobilier se rencontre soit sur blocs (n = 3) d'argile carbonatée (Utrilla & Mazo 1996a, 1996b) et galets (n = 2) du niveau magdalénien final, soit sur bois ou os (pointes de projectile, baguettes, spatules, pendeloques) du niveau magdalénien moyen. On décompte 57 figures pour les trois blocs, dont 48 pour le bloc 1, 8 pour le bloc 2 et 1 (un cheval) pour le bloc 3. En admettant que les nombreux signes angulaires figurent des encornures de bouquetins vues de face, il y aurait, au moins, 41 bouquetins gravés, ce qui donne aux figurations de cette espèce une prédominance écrasante (72 %). Le bestiaire est complété par 6 cervidés (2 cerfs et au moins 4 biches, soit 10,5 % du total), 2 grands chevaux et peut-être 3 de plus (3,5 % ou 8,7 % si les chevaux probables sont décomptés) et 2 figures qui pourraient être interprétées comme des bovidés ou des rennes (3,5 %). On reconnaît, de plus, 2 figures anthropomorphes (5,2 %).
La gravure est à trait simple ou multiple pour les trois blocs. Les deux galets allongés sont peints en rouge. Dans le Magdalénien moyen, tous les objets décorés sur bois ou os sont gravés.

Représentation(s) d'animal(aux)

Si l'on admet que les signes angulaires figurent des encornures de bouquetins, on peut décompter 41 bouquetins sur support mobilier répartis en 35 sur le bloc 1, face A, et 6 sur le bloc 2. Tous deux sont d'une roche à surface très douce et patine ferrugineuse, qui provient de la mobilisation de colloïdes par l'eau (Utrilla & Mazo 1996a, 1996b). Ils sont soit importés de l'extérieur, soit ramassés dans le niveau moustérien sous-jacent. En tout cas, ce ne sont pas des éclats tombés des parois ou de la voûte de la grotte. Le bloc 1 est travaillé et semble reproduire une tête d'animal. Le bloc 2 a la forme prismatique d'une lampe, sa partie supérieure est concave et noirâtre, accompagnée d'un méandre et d'une cupule (dépôt de graisse pour l'éclairage ?).
Sur le bloc 1 (947 g ; fig. 2), la face A comporte trois bouquetins clairement identifiables et des séries de signes angulaires pour lesquels on peut faire l'hypothèse qu'il s'agit de cornes de bouquetins vues de face, selon une convention d'abstraction similaire à la file de rennes de la grotte de la Mairie de Teyjat (Dordogne, France). Nous pourrions alors décompter trente-cinq bouquetins gravés sur la face A, représentés en deux groupes : le plus clair (partie inférieure) est formé de neuf figures, corps tourné à gauche et tête de face, dont deux sont complets (un est même repris, le contour du corps est redessiné). Les autres sont oblitérés par une écaille de la surface et un faisceau d'incisions linéaires, et ne sont évoqués que par l'encornure. Dans la partie supérieure, il y aurait une seconde ligne de cornes et oreilles de bouquetins (n = 25) vus de face, complétée d'un profil entier orienté à gauche. Le reste du bestiaire est composé de deux cerfs, l'un vu de profil gauche, l'autre tête vue de face. Sur la partie inférieure de la face A apparaissent deux anthropomorphes aux bras levés et deux animaux juvéniles, face à face, difficiles à qualifier (veaux ou rennes). La face B présente deux biches à gauche en position d'alerte, l'une complète, l'autre évoquée uniquement par la tête. Deux autres têtes de biche pourraient être identifiées, sans pouvoir l'affirmer, car on pourrait y lire également deux chevaux. D'ailleurs, les figurations les plus singulières sont les éléments que l'on qualifierait « du paysage » : des lignes méandriques figureraient des « rivières » parcourant la surface décorée et une montagne évoquerait le paysage réel de la grotte elle-même (Utrilla et al. 2009), les bouquetins se trouveraient dans un défilé. Des formes en demi-lune ont été gravées au-dessus de la tête de la biche. De même, les cinq bouquetins du bloc 2 tournent leur tête vers quatorze demi-lunes similaires.
Sur le bloc 2 (1 573 g ; fig. 3) on trouve un grand cheval complet, cinq représentations de bouquetins en vue frontale superposées au dos du cheval, et un mâle aux grandes cornes en perspective frontale isolé sous l'encolure. Un anthropomorphe est dessiné au-dessus du cheval avec un trait plus large et profond, réalisé avec un burin* à tranchant multiple, comme pour l'anthropomorphe du bloc 1 et le cheval du bloc 3.
On a eu recours à trois types de traits pour différencier les figures : le plus profond appartient à l'anthropomorphe, un trait fin intermédiaire a dessiné le cheval et un trait très fin et sommaire a été utilisé pour les bouquetins. En ce qui concerne l'ordre d'exécution, on aurait d'abord le cheval, puis le méandre sur le cou et les cinq petits bouquetins, qui formeraient un groupe dessiné de gauche à droite. L'anthropomorphe apparaît comme la réalisation la plus récente.
Du point de vue stylistique, on remarquera que les bouquetins des deux blocs d'Abauntz sont schématiques avec la convention en vue frontale. Par contre, les autres animaux (grand cerf, biches, veaux, cheval) sont tout à fait naturalistes. Seul apparaît un cerf schématique (un doute subsiste, il peut s'agir d'un nouveau bouquetin mâle, mais il présente des cornes fourchues) sur le bloc 1.

Animal(aux) emblématique(s)

Les études comparatives d'objets d'art mobilier recueillis sur des sites distants de plusieurs centaines de kilomètres ont mis en évidence l'existence d'analogies sur le plan des décors et des conventions stylistiques : ainsi, le bouquetin mâle du bloc 2 d'Abauntz (avec la tête vue de face et le corps de profil, fig. 4, Abauntz f.7) est une figure bien caractéristique du Magdalénien final des Cantabres et des Pyrénées. Il trouve ses meilleurs parallèles dans les bouquetins représentés à El Otero (Cantabrie), La Vache et au Ker de Massat (Ariège), Llonín (Asturies) et Ekain (Pays basque) (Utrilla et al. 2004, respectivement fig. 10, no 6, 7, 12, 14 et 19).
On peut également souligner le degré de schématisation différent selon les espèces représentées : seuls les bouquetins sont schématiques à Abauntz – les autres animaux étant représentés de façon naturaliste – et ils sont également les seuls à avoir la tête vue de face (à l'exception du possible cas d'un cerf). On observe aussi une tendance à l'abstraction, avec une schématisation progressive. Le bouquetin mâle du bloc 2 et les deux premiers bouquetins du bloc 1 sont traités de façon assez réaliste, tandis que les bouquetins femelles du bloc 2 et les individus suivants du bloc 1 se réduisent progressivement jusqu'à n'être plus qu'une série de cornes en « V » (bloc 1). Cette convention (représentation de la partie pour le tout) est largement attestée, notamment dans la scène de la file de rennes de Teyjat (Dordogne) ou sur la côte, déjà citée, de Llonín (Utrilla et al. 2004).

Références

Utrilla Miranda 1982, Utrilla & Mazo 1996a, 1996b, 2011, Utrilla et al. 2004, Utrilla et al. 2007-08, Utrilla et al. 2009a, Utrilla et al. 2015b.

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Citer ce document

Utrilla, Pilar; Mazo, Carlos 2022. Abauntz, grotte (Arraitz, Navarre, Espagne) in : Averbouh A., Feruglio V. & Plassard F. Dir. Base Jean Clottes - Animal Representation, Les représentations animales depuis la Préhistoire, "Dossier Bouquetin", mis en ligne le 28 Septembre 2022, actualisé le 21 Juin 2023, consulté le 23 Avril 2024, https://animal-representation.cnrs.fr/s/bjc/item/6198

Citer le document original

Utrilla, Pilar; Mazo, Carlos. Abauntz, grotte (Arraitz, Navarre, Espagne) in : Averbouh A., Feruglio V., Plassard F., Sauvet G. Dir. Bouquetins et Pyrénées - II - Inventaire des représentations animales du Paléolithique pyrénéen. Offert à Jean Clottes, Conservateur général du Patrimoine honoraire, 2022, 654 p.

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