Bruniquel, abri (Bruniquel, Tarn-et-Garonne, France)

Description

Les quatre abris de Bruniquel dits « abris du château » (Plantade, Lafaye, Gandil, Montastruc) se succèdent d'amont en aval sur une distance d'environ 250 m, sur la rive gauche de l'Aveyron, au pied d'une corniche qui porte le château de Bruniquel.
La grotte du Courbet (Penne, Tarn) est située en rive droite de l'Aveyron à 2 km en amont des abris de Bruniquel. La vallée de l'Aveyron compte encore la grotte de La Magdeleine des Albis à quelques kilomètres en amont et l'abri de Fontalès, un site majeur situé à une vingtaine de kilomètres en amont, à Saint-Antonin-Noble-Val (Tarn-et-Garonne).
La grotte du Courbet et les abris Plantade, Lafaye et Montastruc ont été très tôt explorés, de 1862 à 1865. Le matériel riche en œuvres d'art qui y a été mis au jour a contribué à la reconnaissance de la Préhistoire en tant que discipline scientifique. Dès 1867, le catalogue de l'Exposition Universelle de Paris décrit les objets issus des fouilles de Bruniquel au même titre que ceux issus des travaux de Lartet à La Madeleine ou de ceux de Vibraye à Laugerie-Basse (Collectif 1867). Cartailhac cite les travaux de V. Brun à Bruniquel dans la « Revue Archéologique du Midi de la France » dès 1867 (Cartailhac 1866-67), puis à de nombreuses reprises les années suivantes dans les « Matériaux… ». En 1903, il publie un long article de synthèse sur les « stations de Bruniquel » (Cartailhac 1903).
La fréquentation magdalénienne de la vallée de l'Aveyron couvre toutes les phases de cette culture : Magdalénien inférieur français présent à Gandil, dans les niveaux inférieurs de Plantade et Lafaye (Ladier & Bosinski 2017), et probablement aussi à Montastruc ; Magdalénien moyen à l'abri Lafaye, Plantade et Montastruc, ces deux derniers abris ayant aussi été occupés au Magdalénien supérieur avec l'abri de Fontalès. Un mince niveau azilien clôt la séquence de Montastruc.
La grotte du Courbet quant à elle a été occupée au Magdalénien moyen et au Magdalénien supérieur.
Abri Montastruc : il a été très tôt exploré, vers 1863, par Peccadeau de Lisle, et le résultat des fouilles publié en 1867 et 1868 (Peccadeau 1867). L'étude du site fut reprise en 1946-47 (Bétirac 1952) puis en 1956-57 par le même chercheur qui décéda avant de publier ses derniers travaux (Ladier 2012).
Les travaux de Bétirac montrent une stratigraphie où se succèdent un niveau I, assez pauvre (Magdalénien indéterminable), un niveau II attribuable au Magdalénien moyen, un niveau III pratiquement stérile, un niveau IV magdalénien supérieur, et un mince niveau V azilien (Ladier 2012).
Une datation en SMA sur un fragment de harpon bilatéral donne une date de 13 020 ± 130 BP, soit 15 585 ± 203 cal BP.
Abri Gandil : ce gisement situé juste en amont de Montastruc avait échappé aux précurseurs du xixe siècle. Il a été découvert et fouillé à partir de 1928 par M. Chaillot (Chaillot 1929). La principale caractéristique de son industrie osseuse est qu'elle ne comporte pas de harpons, et que les objets ornés de figures animales y sont absents. La fouille reprise de 1987 à 1996 par E. Ladier a fourni une stratigraphie complète du gisement (Ladier dir. 2014), et une série de datations qui situent l'occupation entre 17 480 ± 180 BP (21 134 ± 255 cal BP) et 16 070 ± 160 BP (19 387 ± 209 cal BP).
Les caractères de l'industrie lithique des niveaux inférieurs ont permis de définir le Magdalénien inférieur en France (Langlais et al. 2007).

Iconographie

Tous ces habitats ont livré un abondant matériel, parmi lequel de nombreux objets ornés et œuvres d'art.
Aucun des quatre abris n'a livré d'art pariétal. L'art mobilier de chaque site présente ses particularités propres. Plantade a été occupé au Magdalénien moyen et au Magdalénien supérieur essentiellement, mais à de rares exceptions près, il n'est plus possible de replacer le matériel dans la stratigraphie. L'étude de l'art mobilier y est donc délicate. On peut seulement constater que les supports utilitaires ornés sont plus nombreux et plus variés qu'à Lafaye, même si les supports non utilitaires sont également présents (os gravés, dont une omoplate). La répartition des décors est également différente. Par exemple, les bâtons percés ornés sont moins nombreux qu'à Lafaye, et ne présentent aucun décor animalier.
L'occupation de Lafaye se situe essentiellement au Magdalénien moyen, le matériel y est donc un peu plus homogène qu'à Plantade. On y compte un grand nombre de bâtons percés (une quarantaine, contre 11 à Plantade), dont 6 présentent des décors animaliers (félin, poisson, chevaux, etc.) parfois associés à des décors géométriques.
Sur ces deux sites, la majeure partie des pièces ornées, utilitaires ou non, portent des décors géométriques simples assez voisins (stries parallèles, bâtonnets combinés en zigzags, en chevrons ou en croisillons), qui sont sensiblement différents de ceux, plus complexes et élaborés, qu'on rencontre à Montastruc ou au Courbet. Plus généralement, l'art mobilier de Plantade et Lafaye est moins abondant, moins varié et moins élaboré qu'à Montastruc ou au Courbet. Ces deux derniers sites se caractérisent par des supports non utilitaires ornés plus nombreux que les supports utilitaires. Ces supports sont sur matières dures animales essentiellement au Courbet, et sur plaquettes à Montastruc. L'art du Courbet est remarquable par la finesse et la délicatesse des gravures, et par la présence de « miniatures » plus nombreuses qu'à Montastruc (Sieveking 1987). Parmi celles-ci, on note sur une côte animale la seule représentation de bouquetin du site : une tête tournée à gauche au milieu de têtes de cervidés. Le Courbet a donné également cinq représentations féminines sur pierre, dont une statuette en grès (Ladier 1992). On note deux représentations féminines à Montastruc, sur os et bois de renne. Les sites de Plantade, Lafaye et Gandil en sont dépourvus.
L'abri Gandil est à part, car son occupation se limite au Magdalénien inférieur. L'art mobilier sur support osseux est exclusivement non-figuratif, et ses caractères se rapprochent de ceux de Plantade et Lafaye. Cet art est dépourvu à une exception près de motifs courbes, et se rencontre surtout sur des supports utilitaires (armatures, bâton percé, lissoir). Seuls les supports lithiques présentent des représentations animales.
Abri Montastruc : c'est de ce site que proviennent les chefs-d'œuvre de l'art mobilier du Magdalénien moyen que sont les « rennes nageant », le « propulseur au mammouth » (fouilles Peccadeau) et la baguette ornée au « cheval bondissant », (fouilles Bétirac) conservés respectivement au British Museum et au Musée d'Archéologie Nationale à Saint-Germain-en-Laye. Les niveaux II et IV, respectivement Magdalénien moyen et Magdalénien supérieur, ont livré, outre les trois chefs-d'œuvre déjà mentionnés, de nombreuses œuvres d'art mobilier, sur os, sur bois de renne et sur pierre. Le nombre total des objets ornés est de 161, portant au total 132 représentations animales. Parmi celles-ci, on note 12 bouquetins, soit 9,09 % des animaux, ce qui représente la deuxième espèce figurée après le cheval (51 occurrences), et avant le cerf (10 ou 11 occurrences). Tous ces bouquetins sont gravés sur pierre.
à Gandil, l'art mobilier est assez pauvre, et ne comporte aucun décor figuratif sur matières dures animales. On compte 10 objets ornés non utilitaires, et 28 objets utilitaires ornés, dont 24 armatures. Les dernières fouilles (Ladier et coll. 2014) ont mis au jour un art mobilier figuratif, exclusivement sur supports lithiques. Sur les 16 supports lithiques, 13 sont des plaquettes calcaires. On compte également une plaquette de schiste, un gros galet de quartz (16 kg), et deux fragments d'hématite, ayant appartenu à une même statuette dont le sujet est indéterminable. Les 9 représentations animales sont regroupées sur 4 plaquettes calcaires. L'une d'elles porte un cerf peint en noir, un renne, un bovidé acéphale, un oiseau, et trois têtes humaines gravés. Une autre porte une tête de cheval gravée, une autre encore deux têtes de biche et une tête de cheval gravées. La dernière, présentée ici, porte une tête de bouquetin gravée. Le site a donné également des gravures non figuratives sur des supports lithiques variés (calcaire, schiste, quartz).

Représentation(s) d'animal(aux)

Seuls quatre des sites magdaléniens de la vallée de l'Aveyron ont livré des représentations de bouquetins. À Fontalès, sur l'ensemble des représentations animales recensées (n = 119), la plupart sur support lithique (plaquettes calcaires), le bouquetin (n = 17) représente près de 9,09 % des figures animales. Dans la grotte du Courbet, un seul bouquetin (0,33 %), gravé sur côte animale, est recensé sur la totalité des animaux représentés (n = 33).
L'abri Montastruc est le plus riche en figures animales (n = 132) et compte des bouquetins (n = 12) gravés sur 8 supports : 1 ciseau ou pointe en bois de renne, 3 os, 3 galets roulés, 1 plaquette calcaire.
L'abri Gandil est le plus pauvre en représentations animales (n = 9), et présente 1 bouquetin gravé sur une plaquette calcaire.

Animal(aux) emblématique(s)

Nous avons choisi de présenter ici deux exemplaires peu connus de Montastruc et de Gandil, tous deux sur plaquette calcaire.
Abri Montastruc : une des particularités du site réside dans le nombre de plaquettes gravées de motifs animaliers (une cinquantaine), ensemble particulièrement cohérent et d'une qualité de gravure remarquable.
La plaquette « au bouquetin broutant » (fig. 2), conservée au Muséum d'histoire naturelle de Montauban (Ladier 2012) est sommairement figurée dans la publication de Bétirac en 1952. Cette petite plaquette (15 cm x 10 cm x 6 cm) a été récoltée dans les déblais par P. Darasse à une date indéterminée, probablement avant les premiers travaux de Bétirac en 1946. Sa position stratigraphique est donc inconnue, de même que celle de la cinquantaine de plaquettes issues des fouilles Peccadeau. Selon A. Sieveking (Sieveking 1987), par comparaison avec d'autres sites périgourdins, elles sont attribuables au Magdalénien moyen (Magdalénien IV).
D'une forme grossièrement pentagonale naturelle, comme beaucoup de plaquettes de Montastruc, cette plaquette possède une surface plane bien qu'assez irrégulière. L'animal tourné à gauche est représenté le cou tendu, la tête baissée, sans doute en train de se nourrir. La silhouette est plutôt schématique, mais bien cadrée dans la surface disponible, qui a dû dicter l'attitude de l'animal. Un double tracé au niveau de la patte avant indique la patte droite en retrait, tandis que la cuisse droite semble tracée. Les extrémités ne sont pas figurées. La queue retroussée est indiquée et on note un tracé multiple au niveau de la croupe. Des groupes de 2 à 3 fines stries parallèles verticales très courtes, au-dessus de la cuisse, semblent indiquer une particularité du pelage. La tête est incomplète, l'extrémité du museau n'est pas gravée, elle est remplacée par un léger relief de la surface, qui indique également la bouche. Le naseau est figuré ainsi que l'œil. La corne ne porte pas d'annelures, et est peu courbée. Serait-ce une indication du sexe de l'animal ? Un tracé multiple au niveau du ventre, disposé en éventail de l'avant vers l'arrière pourrait être l'évocation d'une certaine gravidité. Ce tracé rappelle un dispositif identique sur une figuration de biche de Fontalès.
Des tracés non identifiables entourent l'animal. En particulier, on note deux motifs ramifiés sous le ventre, entre les pattes. Le tracé est vigoureux, d'épaisseur constante, avec peu de reprises.
Abri Gandil : la représentation de bouquetin provient de la couche 2, qui est le plus récent niveau d'occupation du site. Ce niveau n'était conservé que sur une faible surface (environ 4 m2). Il comportait un petit foyer en cuvette bien conservé, d'un diamètre de 50 cm environ, creusé dans le sédiment sablo-limoneux, et entièrement garni de galets de quartz façonnés de manière à s'imbriquer parfaitement. Ce niveau très pauvre a donné une douzaine d'outils (dont 3 grattoirs, 1 racloir et 4 lamelles à dos) et 2 pièces en bois de renne, dont une baguette portant un poli d'usage à chaque extrémité. Le petit bloc gravé faisait partie des cailloux et des galets dispersés sur le sol d'occupation, et se trouvait à 80 cm environ à l'est du foyer.
Le bouquetin, réduit à une tête tournée à droite, a été gravé sur un petit bloc (12,5 x 10 x 5,6 cm ; 674 g) de calcaire blanchâtre, à patine beige verdâtre, de forme irrégulière. Le recto relativement plan et lisse, décoré, s'oppose à un verso à angles vifs, vaguement pyramidal (fig. 3-1).
La face ornée montre un contour hexagonal irrégulier. La surface décorée est lisse, assez régulière et porte un dépôt violacé (ocre ?) qui subsiste partiellement dans les irrégularités de la surface. Le bord droit a été façonné par deux enlèvements dont on distingue nettement les négatifs sur le chant de la pièce.
Le décor gravé est plus particulièrement dense vers le bord droit. On distingue une tête de bouquetin tournée à droite, en profil absolu, repérable à son encornure (fig. 3-2). Elle est constituée des éléments suivants
une corne longue, bien arquée, en forme de portion de cercle régulier, profondément gravée en tracés larges mais discontinus, repassés par endroits. La base de la corne montre un tracé dédoublé.un front légèrement bombé, suivi d'un chanfrein droit. L'extrémité du mufle est peu détaillée : naseau et bouche possibles, figurés par de petites cupules.une barbe, en touffe, aux poils individualisés, suivie de l'amorce d'une ganache.en arrière de la corne, une oreille longue, droite, pointue, suivie du départ de l'encolure. Le garrot et la ligne de dos ne sont pas figurés. L'œil, peu visible, est peut-être indiqué par une petite cupule triangulaire.
Les traits dessinant la tête sont fins, légers, peu lisibles, à l'exception de la barbe vigoureusement tracée et de la corne.
Cette tête est bien centrée sur la surface disponible. Les autres éléments du décor ne sont pas figuratifs.
Vers le bord gauche, une série de hachures vigoureuses, obliques, courtes, espacées, pourraient évoquer une crinière si le reste de l'animal était figuré, ce qui n'est pas le cas. Le bord droit porte plusieurs séries de hachures parallèles, profondes, courtes ou longues. On peut distinguer également un motif « en guirlande » constitué de tracés en faisceau, plus raclés que gravés et un motif en forme de fuseau allongé dissymétrique au tracé large et vigoureux (fig. 3-3). Il est postérieur au précédent car il le recoupe.
Une ligne formant un angle ouvert traverse toute la surface décorée. Elle est continue, avec un tracé variable assez large et peu profond avec sillon interne dans sa partie centrale, plus profonde et moins large. Elle est postérieure au décor et aussi au bouquetin car elle les recoupe. Ce dispositif se rencontre sur d'autres plaquettes ornées du site.
Cette plaquette est le seul support orné de la couche 2.

Références

Cartailhac 1866-67, Peccadeau 1867, Collectif 1867, Cartailhac 1903, Chaillot 1929, Bétirac 1952, Sieveking 1987, Ladier 1992, Langlais et al. 2007, Ladier 2012, Ladier 2014, Ladier & Bosinski 2017.

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Citer ce document

Ladier, Edmée 2022. Bruniquel, abri (Bruniquel, Tarn-et-Garonne, France) in : Averbouh A., Feruglio V. & Plassard F. Dir. Base Jean Clottes - Animal Representation, Les représentations animales depuis la Préhistoire, "Dossier Bouquetin", mis en ligne le 28 Septembre 2022, actualisé le 7 Janvier 2024, consulté le 20 Avril 2024, https://animal-representation.cnrs.fr/s/bjc/item/6234

Citer le document original

Ladier, Edmée. Bruniquel, abri (Bruniquel, Tarn-et-Garonne, France) in : Averbouh A., Feruglio V., Plassard F., Sauvet G. Dir. Bouquetins et Pyrénées - II - Inventaire des représentations animales du Paléolithique pyrénéen. Offert à Jean Clottes, Conservateur général du Patrimoine honoraire, 2022, 654 p.

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