Laugerie-Basse, abri (Les Eyzies-de-Tayac, Dordogne, France)

Description

Les deux abris de Laugerie-Basse (« abri classique » et abri des Marseilles) s'ouvrent à l'est, au pied d'un imposant escarpement calcaire du Coniacien qui domine la rive droite de la Vézère, aux Eyzies (fig. 1a et 1b). Ils sont situés au cœur d'une zone très riche en abris et habitats paléolithiques, pour la plupart classés au patrimoine mondial par l'Unesco. Sur près de 200 m de long, l'abri classique constitue un site d'importance majeure pour la Préhistoire. Il est exploré dès 1863 par É. Lartet et P. de Vibraye, puis dévasté par d'innombrables chercheurs et collectionneurs, de la fin du xixe siècle jusqu'aux années 1930. De 1912 à 1920, les fouilles conduites par J. Maury et D. Peyrony permettent une révision archéostratigraphique assez précise de l'abri. Trois couches principales sont individualisées. Elles sont attribuées au Magdalénien moyen (couches A et B) et au Magdalénien supérieur (couche C). L'épaisse couche B, la plus riche, notamment en objets d'art mobilier, contenait de nombreux foyers dans sa partie supérieure. L'industrie lithique y est dominée par les burins, comme dans la couche A. Les grattoirs simples ou doubles sont fréquents, ainsi que les perçoirs, les lames et les lamelles à dos. L'industrie osseuse, riche et abondante, comprend quelques proto-harpons, des pointes de sagaies à biseau simple ou double, des bases fourchues, des baguettes demi-rondes, des pointes bifides, des hameçons et des fragments de bâtons percés et de propulseurs. La faune est globalement dominée par le renne et, dans une moindre mesure, par le cheval. Plusieurs restes humains, dont une sépulture (dite de « l'homme écrasé »), ont également été découverts dans les différents niveaux d'occupation. La couche C se différencie par la présence de harpons et de pointes barbelées à un ou deux rangs, de longues pointes de sagaies à double biseau et des baguettes demi-rondes étroites et allongées. Des occupations plus récentes du Magdalénien final et de l'Azilien, anciennement détruites, sont attestées par la présence de pointes de Laugerie-Basse, de grattoirs unguiformes, de pointes aziliennes et de têtes de harpons plats en bois de cerf. Plus au nord, l'abri des Marseilles offre, sur 15 m de long, une puissante stratigraphie. Partiellement fouillé avant la Première Guerre mondiale par J. Maury et A. de Mortillet, puis au début des années 1980 par A. Roussot, l'abri a livré une séquence magdalénienne, plus ou moins contemporaine de celle de l'abri classique, scellée par des blocs d'effondrement. Des occupations néolithiques, protohistoriques, gallo-romaines et médiévales couronnent l'ensemble. Laugerie-Basse est un immense site d'agrégation qui occupe une place fondamentale dans la Préhistoire. C'est aussi l'un des plus grands sites d'art magdalénien.

Iconographie

L'abri de Laugerie-Basse est exceptionnel par la richesse de son art mobilier, aujourd'hui dispersé dans de multiples collections. Des inventaires anciennement établis par A. Roussot font état de plus de cinq cents objets d'art, dont près de deux cent quarante sont ornés de figures animales – surtout des cervidés, des chevaux et des bovinés. On doit verser à la catégorie des témoins liés au symbolique de nombreuses parures (dents et coquillages percés) ainsi que la forte présence de matières colorantes. Dans la couche A, l'art mobilier est réduit à quelques os cochés, trois bois de renne gravés, des rondelles percées ornées de motifs linéaires géométriques et de deux fragments de sculptures en calcaire. Les séries de la couche B sont constituées d'une cinquantaine de pièces portant souvent des figures animales. Elles sont exécutées selon toutes les techniques en usage au Magdalénien. Parmi ces dernières, certaines ont été sculptées – en ronde-bosse (trois extrémités de propulseurs et une figure de salamandre) ou en bas-relief (rennes et chevaux) –, mais la plupart ont été gravées. Différents supports ont été utilisés : bois de renne (bâtons percés avec félins et oiseaux), os (cervidés et chevaux) ou galets calcaires (rennes, chevaux, aurochs et caprinés). De nombreuses baguettes de bois de renne ou des fragments d'os portent également des gravures géométriques (zigzags, signes angulaires, lignes, coches, points, tubercules, quadrilatères, etc.) ou des éléments figuratifs très stylisés (poissons, reptiles). Dans la couche C, les objets d'art sont plus rares et présentent une tendance à la stylisation (séries de lignes obliques ou de traits parallèles gravées sur os et bois de renne). De belles séries d'art, bien que plus modestes, ont également été découvertes dans l'abri des Marseilles (Maury 1925).

Représentation(s) d'animal(aux)

Malgré le grand nombre de représentations animalières dans le corpus de Laugerie-Basse, les caprinés constituent un thème du bestiaire plutôt secondaire. Nous avons recensé une quinzaine de sujets, tous gravés sur des matières dures d'origine animale (os et bois de cervidés). Ils proviennent des principales séries (de Vibraye, Lartet-Christy et Girod-Massénat) conservées dans les grands musées français et au British Museum. Globalement, l'état de fragmentation des objets est important, et l'identification des individus n'est pas toujours parfaitement assurée. Ceux dont l'attribution zoologique est incertaine représentent un peu moins de la moitié du corpus. Par ailleurs, les animaux sont exceptionnellement représentés de manière complète. Trois bouquetins sont figurés en vue frontale ; ils donnent un peu d'originalité au corpus. Plusieurs individus sont gravés sur des empaumures de renne, les digitations des andouillers ou des épois sont parfois utilisées pour y loger une partie de la tête et des longues cornes annelées. Les figures représentées isolément (n = 6) sont moins fréquentes que celles associées entre elles ou avec d'autres animaux (un renne, un boviné et un possible un félin).

Animal(aux) emblématique(s)

Cette gravure sur un fragment mésial de baguette demi-ronde (fig. 2) d'environ 7 cm de long (collection Girod-Massénat, MAN) n'est pas la « sorte d'insecte obèse ( ?) » décrite par P. Girod et E. Massénat (1900), mais bien un bouquetin schématique disposé en vue frontale et dont le « corps circulaire se développe en un cou aminci couronné d'une tête munie de cornes et d'oreilles ; sous le corps s'aperçoivent deux pattes repliées comme chez un animal couché » (Breuil 1905 : 112). M. Chollot-Varagnac le voyait « en raccourci dorsal » (1980 : 424). Tête et corps sont couverts de fines incisions soigneusement alignées (pour représenter le pelage ?). Le bouquetin vu de face est un thème assez commun dans l'art pariétal et dans le mobilier du Magdalénien supérieur, notamment dans les Pyrénées et les Cantabres. Toutefois, cette façon de représenter les animaux est inhabituelle dans l'art préhistorique (les animaux sont généralement figurés de profil), comme la vue de dos, du dessus ou du dessous. Dans la nature, le bouquetin est un animal très craintif. Il est en alerte et il est donc fréquent de l'observer de face. Il affiche alors un corps massif, prolongé par une tête indistincte, plus ou moins triangulaire, mais toujours couronnée par deux longues cornes, convergentes ou divergentes, qui sont encadrées par de courtes oreilles. Tel est le portrait presque naturel que le bouquetin offre de lui-même au chasseur et à l'artiste. Il se prête ainsi à d'importantes codifications graphiques.
Ce fragment de palme de bois de renne d'environ 9 cm de long (collection Christy, British Museum) est finement gravé sur ses deux faces d'une tête et d'une encolure de bouquetin exécutées dans un style réaliste. Les deux têtes, à moins qu'il ne s'agisse (selon nous) des profils droit et gauche du même animal, épousent parfaitement la forme naturelle du support, en particulier celle de l'épois sur lequel se logent deux longues cornes annelées et peu recourbées. Le profil gauche est particulièrement soigné, notamment au niveau du museau, des naseaux et de la bouche qui est figurée ouverte. L'oreille pointue et sa conque ainsi que l'encolure relevée complètent ce profil gracieux et vivant dont il ne manque que l'œil. Le profil droit est beaucoup plus lacunaire du fait de l'ablation d'une partie de la palme, mais on devine, outre la corne, une oreille tendue vers l'arrière, la ligne fronto-nasale, la joue et un œil triangulaire. La conjonction du dessin et du support est un bel exemple d'utilisation de formes naturelles dont on connaît un autre exemple pour le bouquetin à Laugerie-Basse (Lartet & Christy 1865-1875).

Références

Lartet & Christy 1865-1875, Girod & Massénat 1900, Breuil 1905, Maury 1925, Chollot-Varagnac 1980, Sieveking 1987, Paillet 2016.

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Citer ce document

Paillet, Patrick 2022. Laugerie-Basse, abri (Les Eyzies-de-Tayac, Dordogne, France) in : Averbouh A., Feruglio V. & Plassard F. Dir. Base Jean Clottes - Animal Representation, Les représentations animales depuis la Préhistoire, "Dossier Bouquetin", mis en ligne le 28 Septembre 2022, actualisé le 21 Juin 2023, consulté le 28 Mars 2024, https://animal-representation.cnrs.fr/s/bjc/item/6238

Citer le document original

Paillet, Patrick. Laugerie-Basse, abri (Les Eyzies-de-Tayac, Dordogne, France) in : Averbouh A., Feruglio V., Plassard F., Sauvet G. Dir. Bouquetins et Pyrénées - II - Inventaire des représentations animales du Paléolithique pyrénéen. Offert à Jean Clottes, Conservateur général du Patrimoine honoraire, 2022, 654 p.

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44.936277307738116, 1.0121909000000002

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