La Mouthe, grotte (Les Eyzies-de-Tayac, Dordogne, France)

Description

Située sur la commune des Eyzies, en Dordogne, la grotte de la Mouthe s'ouvre par un porche assez vaste (fig. 1a), dans un petit vallon qui surplombe la rive gauche de la Vézère. La galerie unique de dimensions modestes se développe sur 182 m de longueur et s'élargit à plusieurs reprises pour former de petites salles qui ont été ornées par les artistes paléolithiques (fig. 1b).
La grotte de la Mouthe est indissociable de la reconnaissance de l'art pariétal. En effet, le gisement de l'entrée a été découvert en 1894 par É. Rivière, qui y a entrepris des fouilles. Celles-ci ont conduit à la désobstruction de la galerie ornée, découverte le 8 avril 1895. L'ancienneté du remplissage archéologique qui scellait l'entrée de la cavité a constitué une preuve de l'âge paléolithique des gravures et peintures de la grotte. Une photographie prise en août 1902, réunissant les grands noms de la Préhistoire d'alors devant l'entrée, lors de l'excursion du congrès de l'AFAS, a immortalisé le moment où la communauté scientifique a définitivement reconnu l'existence de l'art pariétal paléolithique.
Les œuvres de la Mouthe ont été successivement étudiées par É. Rivière (1897, 1901) et par H. Breuil (1952). Des peintures dans la galerie profonde (galerie Laborie) ont été mentionnées par A. Glory (1965) et relevées tardivement par B. et G. Delluc (1973). Actuellement, le site fait l'objet d'un nouveau programme de recherche dirigé par S. Pétrognani. Les données archéologiques issues des fouilles de É. Rivière permettent de reconstituer une succession d'occupations de la cavité depuis le Moustérien (de tradition acheuléenne ?) jusqu'au Néolithique ( ?) en passant par le Châtelperronien, l'Aurignacien, le Solutréen à feuilles de laurier et pointes à cran, et le Magdalénien supérieur. Un plancher stalagmitique individualisait ce dernier des vestiges holocènes (Daniel 1960 ; Sonneville-Bordes 1960).

Iconographie

La seule étude complète de l'art de la cavité est celle publiée par H. Breuil (1952) d'après les relevés réalisés entre 1924 et 1930. Les décomptes ci-après sont donc indicatifs et probablement sous-estimés. Tout visiteur de la grotte de La Mouthe est frappé par la répartition topographique des œuvres. Les panneaux ornés se succèdent en effet dans la grotte, en même temps qu'ils documentent des styles successifs dans le temps. Le premier ensemble réunit un cheval et quatre aurochs gravés dans un style aurignacien ou gravettien, proche de celui de Pair-Non-Pair. Le panneau suivant, des Petits Bisons, rassemble neuf de ces animaux accompagnés d'un cerf et de deux bouquetins. Des similitudes avec l'art de Lascaux ou de Gabillou peuvent être avancées (Aujoulat & Geneste 1984). Viennent plus loin la salle de la Hutte et celle des Rennes, dont les œuvres sont – pour l'essentiel – attribuables au Magdalénien moyen, offrant des points communs avec l'art de Font-de-Gaume. Dans la première où domine un grand signe quadrangulaire baptisé « hutte », on retrouve le mammouth (n = 6), le rhinocéros (n = 1), le bœuf musqué (n = 1) ainsi que le cheval (n = 3), le renne (n = 1) et le bouquetin (n = 1). Comme son nom l'indique, la salle des Rennes livre trois spectaculaires images de ces cervidés ainsi que des chevaux (n = 4), bison (n = 1), rhinocéros (n = 1) ou mammouth, pour A. Leroi-Gourhan (1965), mammouth (n = 1) et bouquetin (n = 1). Si la gravure domine, nombre de ces sujets combinent gravure et peinture. C'est notamment le cas pour les rennes. La galerie Laborie, au-delà de la salle des Rennes, recèle trois silhouettes de bison peintes en noir (B. & G. Delluc 1973).
L'art paléolithique de la Mouthe compte aussi une œuvre mobilière : une lampe en grès rouge dont le revers est orné d'une figuration de bouquetin (Rivière 1899, Roussot 1969).

Représentation(s) d'animal(aux)

Parmi la cinquantaine de figurations animales évoquée plus haut, cinq sont des figurations de bouquetins. Les deux premières se trouvent dans la salle des Petits Bisons. Il s'agit de deux animaux complets qui sont situés de part et d'autre du groupe des bisons. Celui de gauche (fig. 1b-a), en profil droit, semble n'avoir qu'une patte par paire, et une seule corne figurée en prolongement du front, peu courbe et fortement inclinée vers l'arrière. L'œil, une oreille et la bouche sont indiqués. Le sujet de droite (fig. 1b-b), en profil gauche, présente deux cornes parallèles à faible courbure. Les quatre pattes sont figurées, mais sont mal positionnées les unes par rapport aux autres : le second antérieur émerge sous le ventre et non au niveau du poitrail, tandis que les postérieurs témoignent d'une mise en perspective mal maîtrisée. Il est directement associé à une figuration de cerf.
Le bouquetin de la salle des Rennes est lui aussi complet (fig. 1b-c) avec deux antérieurs et une seule patte postérieure ouverte. Les cornes sont fortement recourbées, l'œil et le naseau sont figurés. Le dos nettement ensellé et le ventre arrondi le distinguent des sujets précédents. Dans la salle de la Hutte se trouve la plus spectaculaire des figurations de bouquetin de la grotte. Superposé à un rhinocéros, le sujet complet est en profil gauche et mesure 1,10 m de long (fig. 1b-d). Cette image est décrite en détail au paragraphe suivant.
La cinquième image de bouquetin de la Mouthe est celle qui orne le revers de la lampe découverte au cours des fouilles de É. Rivière, dans la couche magdalénienne (couche 3 d'É. Rivière) du couloir d'entrée. Historiquement, elle a été la première lampe à graisse découverte, et l'analyse des résidus qu'elle contenait a permis d'assurer sa fonction et d'affirmer que les Paléolithiques avaient les moyens de s'éclairer dans les grottes. Ce fait a participé à la reconnaissance de l'art des cavernes. Entièrement sculptée dans un bloc de grès rouge, elle porte au revers une tête de bouquetin en profil gauche, dotée de deux grandes cornes fortement courbées (fig. 2). Comme le bouquetin de la salle de la Hutte et celui de la salle des Rennes, elle présente de nombreux détails anatomiques : œil, naseau, bouche, oreille. On peut noter que la barbiche n'est qu'à peine évoquée alors que le développement des cornes indique un mâle.
Au total, tous les bouquetins figurés à La Mouthe peuvent être considérés comme des bouquetins alpins et tous probablement des mâles, vu le développement des encornures. Par leur style, les deux sujets du panneau des bisons se distinguent des trois images de la salle des Rennes, de la salle de la Hutte et de la lampe. Les premiers sont probablement rapportables à une phase plus ancienne que les seconds, ces derniers certainement magdaléniens.

Animal(aux) emblématique(s)

Nous retenons le bouquetin de la salle de la Hutte. C'est une image d'assez grande dimension avec 1,10 m de longueur figurant un animal complet en profil gauche. La tête est finement gravée et l'on peut noter l'indication de l'œil, du naseau, de la bouche et des deux oreilles en perspective. La corne, unique, est longue et affectée d'une forte courbure. Le développement de la corne indique un mâle, mais il n'est fait aucune mention de la barbiche. En dépit de ces nombreux détails, la tête de l'animal est un peu petite par rapport au corps. Celui-ci s'inscrit dans un rectangle qui semble un peu haut et trop court, de telle manière que le poitrail paraît exagérément grand. La queue, trop longue, est figurée tendue vers l'arrière. Les postérieurs particulièrement fins et allongés sont figurés en extension vers l'arrière et les antérieurs, plus courts et massifs, sont pointés en avant figurant un animal bondissant ou galopant. Si les onglons sont indiqués pour les pattes arrière, en particulier celle du premier plan (postérieur gauche), les antérieurs sont interrompus au niveau du boulet.
La pertinence anatomique du dessin de la tête, la courbure accentuée de la corne, le poitrail, à la fois très haut et quasi vertical, sont autant d'éléments qui rappellent les bouquetins des Combarelles ou de Rouffignac. Ces similitudes stylistiques sont cohérentes avec la présence du rhinocéros auquel se superpose le bouquetin et qui apparaît aussi dans les sites susmentionnés.

Références

Rivière 1897, 1899, 1901, Breuil 1952, Daniel 1960, Sonneville-Bordes 1960, Glory 1965b, Roussot 1969, Aujoulat & Geneste 1984.

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Citer ce document

Plassard, Frédéric 2022. La Mouthe, grotte (Les Eyzies-de-Tayac, Dordogne, France) in : Averbouh A., Feruglio V. & Plassard F. Dir. Base Jean Clottes - Animal Representation, Les représentations animales depuis la Préhistoire, "Dossier Bouquetin", mis en ligne le 28 Septembre 2022, actualisé le 7 Janvier 2024, consulté le 26 Avril 2024, https://animal-representation.cnrs.fr/s/bjc/item/6240

Citer le document original

Plassard, Frédéric. La Mouthe, grotte (Les Eyzies-de-Tayac, Dordogne, France) in : Averbouh A., Feruglio V., Plassard F., Sauvet G. Dir. Bouquetins et Pyrénées - II - Inventaire des représentations animales du Paléolithique pyrénéen. Offert à Jean Clottes, Conservateur général du Patrimoine honoraire, 2022, 654 p.

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