Rouffignac, grotte (Rouffignac-Saint-Cernin, Dordogne, France)

Description

Située sur la commune de Rouffignac-Saint-Cernin, en Dordogne, la grotte de Rouffignac s'ouvre sur le flanc d'un vallon drainé par un affluent secondaire de la rive droite de la Vézère. Connue depuis toujours, la grotte est décrite et cartographiée depuis des siècles. Cependant, son intérêt archéologique n'est révélé qu'en 1956 à la suite de la découverte, par R. Robert et L.-R. Nougier, des œuvres pariétales paléolithiques. La caverne est sans conteste l'une des plus vastes qu'aient ornées les Paléolithiques (fig. 1a). On la connaît aujourd'hui sur environ 8 km et sur trois niveaux. Toutefois, l'étage supérieur est le seul à présenter un réel intérêt archéologique. Avant les Hommes, les premiers à avoir fréquenté les lieux furent les ours des cavernes dont les griffades et les bauges sont partout présentes.
Si le porche d'entrée et certaines galeries profondes ont livré des témoignages d'occupations ou de fréquentations mésolithiques et protohistoriques, nous ne connaissons aucun indice attribuable au Paléolithique, en dehors de l'art pariétal.

Iconographie

L'art paléolithique de Rouffignac est uniquement constitué de manifestations pariétales. On compte environ 240 figurations animales, parmi lesquelles 160 mammouths, 28 bisons, 16 chevaux, 11 rhinocéros et autant de bouquetins ; 6 serpents, 4 humains, 1 ours et 5 figurations indéterminées complètent le bestiaire (Barrière 1982, Plassard 1999, Plassard & Plassard 2001). Les motifs non figuratifs sont dominés par les tracés digitaux qui, selon les cas, s'enchevêtrent, formant de longues lignes sur le plafond des galeries ou constituent des motifs plus construits (tracés parallèles, faisceaux, quadrillages). C'est aussi avec des tracés digitaux que sont exécutés les seize signes tectiformes recensés.
Deux techniques sont associées :
- le dessin, toujours noir, réalisé à l'aide de dioxyde de manganèse ;
- la gravure, exécutée au doigt, avec l'aide d'un bâtonnet ou au silex, en fonction de la plasticité du support et du résultat escompté.
Il convient d'ajouter deux éléments essentiels : l'éclatement du dispositif pariétal et sa composition. De fait, les œuvres sont souvent en petits groupes, dispersés sur plus de 3 km de couloirs. Les Paléolithiques ont, en dépit de son étendue, investi tout le réseau. En outre, ces ensembles montrent souvent une organisation manifeste. La frise des Trois Rhinocéros ou celle des Dix Mammouths en fournissent des exemples spectaculaires. L'ensemble le plus riche, le Grand Plafond, est cependant le seul à ne pas présenter de structuration évidente.

Représentation(s) d'animal(aux)

Parmi les cinq thèmes principaux de l'art de Rouffignac, le bouquetin est l'un des moins abondants avec onze sujets, tous décrits par Cl. Barrière (1982). Cl. Barrière (1982) recense douze figurations, mais l'une d'elles, trop incomplète, a été écartée du corpus. Dans la suite du texte, la numérotation des figures est celle de Cl. Barrière (1982). Aux publications de ce dernier s'ajoute l'étude zoologique des bouquetins figurés de J. Maury (1975). Sans revenir sur le détail des travaux antérieurs, rappelons quelques données factuelles. Tous les bouquetins sont dessinés en noir et sont regroupés dans un seul endroit de la caverne : le Grand Plafond (fig. 2). On compte six sujets en profil gauche et cinq en profil droit. Six fois, l'animal est figuré en entier, tandis que, à quatre reprises, l'image est réduite à l'avant-train et qu'il y a une tête isolée. Il n'y a donc pas, ici, de simplification extrême comme on peut le voir pour le mammouth à Rouffignac ou pour le bouquetin dans d'autres sites (pyrénéo-cantabriques surtout).
En termes de zoologie, c'est clairement le bouquetin alpin qui est figuré. La détermination de l'âge et du sexe des images permet d'isoler un chevreau aux cornes naissantes [117], une probable étagne [109], tandis que le développement des cornes et/ou l'indication du sexe, et/ou la position de la queue permettent d'identifier les autres sujets comme des mâles.
Sur le Grand Plafond, les images de bouquetins sont inégalement réparties dans deux secteurs (fig. 3). Le premier, à gauche en arrivant, réunit deux figurations d'avant-trains [78 et 79] qui se superposent de telle manière que les lignes de dos sont sécantes, de même que les poitrails. Bien que le 79 soit plus détaillé que le 78, ces deux sujets sont graphiquement très proches : la tête est portée légèrement baissée ; l'œil, le sourcil, la bouche, et une seule corne, en demi-cercle, sont figurés. La proximité d'images de chevaux, de mammouths et de bisons n'est pas nécessairement significative vu la densité des figures sur cette zone du plafond.
C'est cependant sur la bordure droite du plafond, vers le fond, que se trouvent la plupart des figurations de bouquetins (n = 9). Cinq sont tournés vers la gauche et quatre vers la droite. Les sujets 102 et 103 sont figurés en file indienne, en profil droit, comme c'est le cas des 106 et 110, un peu plus loin à gauche. Ces quatre images montrent de vieux mâles aux longues cornes (nettement annelée pour la corne droite du 110). Seule image sur la paroi, dont elle utilise d'ailleurs les reliefs, et bien que tournée à gauche, la figuration 104 semble composer avec la 102 et la 103 une sorte de triptyque. Viennent ensuite, en profil gauche, les sujets 109, 112 et 117. Le premier, superposé à la figure 110, est représenté par un avant-train qui se démarque par une corne courte à faible courbure, une absence de barbe et une tête plus gracile. Ces éléments font penser à une femelle. Le mufle de cette probable étagne repose presque sur la croupe du plus grand des bouquetins [112]. Ce dernier mesure 1,50 m de long, c'est-à-dire deux à trois fois plus que tous les autres capridés de la caverne. Le nettoyage des graffitis sur le plafond dans les années 1990 a fait apparaître une barbe qui en fait un mâle, sans doute assez jeune vu le faible développement de l'unique corne figurée. Juste devant se trouve l'avant-train d'un chevreau aux cornes naissantes. Un effet de perspective semble avoir été recherché entre ce chevreau et le grand bouquetin, puisque le corps du chevreau ne s'arrête qu'à 2 ou 3 cm du poitrail de l'adulte, donnant une impression de second plan. Ces deux images partagent de nombreux points communs graphiques, comme la concavité du chanfrein, le redoublement de la ligne qui dessine l'arrière de la tête ou la façon dont est figurée la patte avant. Alors qu'habituellement les images se superposent sans se masquer mutuellement, créant une idée de transparence des sujets, ces deux bouquetins composent un ensemble structuré sur deux plans. Au premier plan se trouve l'adulte ; au second, le chevreau. Celui-ci est disproportionné – un corps démesurément long et épais, et des pattes trop courtes – probablement parce que le dessinateur a commis une erreur en plaçant la tête trop loin de celle de l'adulte. Il a ainsi sacrifié l'équilibre des formes pour garantir l'effet de perspective.
Le dernier sujet [113] est limité à la tête. La corne est longue et recoupe la crinière. La barbe est figurée par deux traits. Isolé des autres bouquetins, il est associé à des mammouths et un bison.

Animal(aux) emblématique(s)

En dépit d'une première impression d'homogénéité des bouquetins de Rouffignac, quelques éléments plaident en faveur de deux séries d'images légèrement différentes. Nous retiendrons ici un sujet de chaque groupe.
L'image 102 est à la fois spectaculaire et emblématique du premier groupe. On remarque la tête, petite et légèrement baissée, ainsi que les membres raides. En outre, cette figuration est la seule pour laquelle le sexe est indiqué. Au caractère primaire s'ajoute, dans ce cas, des caractères secondaires évidents, comme la dimension des cornes et la queue relevée. C'est un mâle, et l'artiste en donne plusieurs preuves. D'un strict point de vue graphique, on notera aussi qu'une seule patte antérieure est indiquée, alors que trois postérieures sont identifiables. En effet, une lecture attentive montre que, en arrière du membre postérieur droit, se trouvent les restes d'un autre membre à peine visible. Tout porte à croire que cette image a fait l'objet d'un repentir. Les grandes cornes, les membres raides, la queue relevée, voire rabattue sur l'échine, la tête un peu trop petite et portée basse (faisant un angle aigu avec le poitrail) sont des points communs aux images 102, 103, 106 et 110. L'analyse par fluorescence de rayons X montre par ailleurs que la matière colorante de trois de ces quatre sujets (106 n'est pas analysé) a une signature chimique très proche (Gay 2015).
Le grand bouquetin 112 est représentatif du second groupe. Comme nous l'avons dit plus haut, il partage avec le chevreau [117] certaines ressemblances graphiques (concavité du front, encolure redoublée, implantation de l'antérieure sur le corps). On peut ajouter un port de tête plus haut que pour le 102 (de telle sorte que le dessous de la tête et le poitrail forment presque un angle droit) et des oreilles clairement figurées en perspective. L'essentiel de ces éléments se retrouve sur l'étagne [109]. En outre, la signature chimique du pigment utilisé pour ces images est très proche et se démarque nettement de celle de la première série (Gay 2015).
Enfin, les images 78, 79, 104 et 113 se rapportent, selon le critère pris en compte, à l'un ou l'autre groupe. Stylistiquement, 104 est plus proche de 112 que de 102, mais c'est l'inverse sur le plan de l'analyse chimique du colorant. Quant à 78, 79 et 113, ils sont comparables à 112 sur le plan pigmentaire, mais affichent des traits stylistiques hybrides : tête basse et corne longue comme 102, mais barbe et pattes antérieures similaires à celles de 112 ou 109.

Références

Maury 1975, Barrière 1982, Plassard 1992, 1999, Plassard F. & Plassard J. 2001, Plassard 2005, Beck et al. 2012, Plassard et al. 2014, Gay 2015.

Licence

Droits

L’ensemble des textes et des images déposés dans la Base Jean Clottes (BJC) sont soumis au droit d’auteur et sont, à ce titre, protégés par les droits de propriété intellectuelle. Toute demande d’utilisation totale ou partielle des textes ou des images doit être soumise au conseil scientifique qui transmettra aux auteurs. Toute utilisation sans accord et citation des auteurs est passible de poursuites judiciaires. Les références doivent être citées comme suit.

Citer ce document

Plassard, Frédéric; Plassard, Jean 2022. Rouffignac, grotte (Rouffignac-Saint-Cernin, Dordogne, France) in : Averbouh A., Feruglio V. & Plassard F. Dir. Base Jean Clottes - Animal Representation, Les représentations animales depuis la Préhistoire, "Dossier Bouquetin", mis en ligne le 28 Septembre 2022, actualisé le 7 Janvier 2024, consulté le 19 Avril 2024, https://animal-representation.cnrs.fr/s/bjc/item/6243

Citer le document original

Plassard, Frédéric; Plassard, Jean. Rouffignac, grotte (Rouffignac-Saint-Cernin, Dordogne, France) in : Averbouh A., Feruglio V., Plassard F., Sauvet G. Dir. Bouquetins et Pyrénées - II - Inventaire des représentations animales du Paléolithique pyrénéen. Offert à Jean Clottes, Conservateur général du Patrimoine honoraire, 2022, 654 p.

Filtrer par propriété

Relation
Titre Libellé alternatif Classe
Rouffignac fiche 01
Rouffignac fiche 02
Rouffignac fiche 03
Rouffignac fiche 004
Rouffignac fiche 005
Rouffignac fiche 006

Collections

Coordonnées géographiques *

45.0474727, 0.9788432

Nom du site

Département / Région

Pays

* Pour des raisons de sécurité des sites archéologiques, les géolocalisations signalées dans la BJC pointent vers les mairies des communes considérées.