Roc-aux-Sorciers, abri (Angles-sur-l’Anglin, Vienne, France)

Description

Le grand abri-sous-roche du Roc-aux-Sorciers se situe à Angles-sur-l'Anglin (Vienne, France), au seuil du Poitou, où se rejoignent les bassins sédimentaires aquitain et parisien. L. Rousseau trouve le gisement magdalénien en 1927. Puis S. de Saint-Mathurin et D. Garrod y découvrent, dès 1946, des blocs gravés, sculptés et peints. Lors des fouilles de 1950, elles mettent au jour la frise sculptée encore in situ.
Exposé plein sud, l'abri se développe sur la rive droite de l'Anglin, sur une cinquantaine de mètres au pied de la falaise calcaire (Jurassique supérieur) de Dousse. Il présente deux configurations morphologiques bien différentes : vers l'aval, l'abri Bourdois, un abri à faible encorbellement largement ouvert sur l'extérieur, et, vers l'amont, la cave Taillebourg, une grotte délimitant à l'ouest le gisement (fig. 1a et 1b).
Le site est fréquenté à plusieurs reprises au cours du Magdalénien moyen. Puis un effondrement majeur scelle ces premières occupations liées au temps des sculpteurs. Les Hommes de la Préhistoire visitent de nouveau le site, ponctuellement, pendant une période plus récente, du Magdalénien final jusqu'à l'Azilien. L'abri du Roc-aux-Sorciers a la particularité d'associer art pariétal et occupations magdaléniennes révélées par de nombreux vestiges, preuves d'activités techniques, domestiques, cynégétiques et artistiques. L'accès facile à ce site de même que son repérage à grande distance en font un lieu manifeste au Magdalénien ; pourtant, l'art à la fois public et secret pose la question de son statut – profane ou sacré. Les travaux récents de P. Valensi et N. Boulbes (Valensi & Boulbes 2018) démontrent une occupation sur de longues périodes de l'année au cours du Magdalénien moyen et une gestion des ressources variant selon les saisons.

Iconographie

Au Roc-aux-Sorciers, art pariétal et art mobilier sont issus d'un même contexte archéologique. L'art mobilier est « d'usage non technique » (Leroi-Gourhan 1965 : 66), avec plusieurs statuettes en calcaire et des plaquettes, des dalles et des blocs gravés. S'ajoute un ensemble de blocs trouvés en fouille et issus soit du plafond effondré de la cave Taillebourg, soit des retailles des sculptures de la frise pariétale. Cet ensemble monumental – composé de bisons, de chevaux, de bouquetins, de félins et de figurations féminines encore in situ sur plus de 20 m de long – caractérise l'art pariétal de ce site (fig. 2).
Quatre-vingt-douze unités graphiques pariétales, dont près des deux tiers dans l'abri Bourdois, ont été recensées (le plafond sculpté de la cave Taillebourg est en cours d'étude). Essentiellement figuratives, elles représentent principalement le bison, le bouquetin, l'homme et le cheval. Plus rares sont les félins, le mammouth et le renne ; exceptionnels sont l'ours, les canidés et l'antilope saïga. L'homme, les félins, le renne, le cheval et le mammouth sont figurés dans l'art mobilier. Les différentes techniques – gravure, sculpture et peinture – sont associées. Les sujets gravés se superposent sur les plaquettes ou les dalles. En revanche, dans l'art pariétal gravé, les sujets de petites dimensions et partiels sont distincts. L'art mobilier compte plusieurs rondes-bosses. L'art pariétal va du relief gravé au haut-relief en passant par le demi-relief et le bas-relief. Certains sujets sont sculptés grandeur nature (représentations féminines et bouquetins). Les couleurs utilisées sont le rouge pâle, le rouge profond, le noir et le jaune. Plusieurs combinaisons techniques sont possibles selon les sujets. Ainsi, le rouge vif est lié aux signes ponctués, le noir sert à représenter ou à rehausser des éléments figuratifs tels que les sabots des bisons ou des bouquetins sculptés, ou à rendre la ligne ventrale de bisons finement gravés.

Représentation(s) d'animal(aux)

Le thème du bouquetin occupe une place de choix dans la frise sculptée du Roc-aux-Sorciers. Composé de huit figures sculptées grandeur nature, cet ensemble est exceptionnel aussi bien par son aspect monumental que par sa qualité d'exécution, même si sa construction se fait aux dépens d'anciennes œuvres, comme des bisons. Le réalisme de ces représentations de bouquetin permet de les rapprocher de l'espèce Capra ibex. Parmi les restes de faune, seuls quatre éléments ont pu être identifiés, et leur attribution taxinomique ne peut être que proposée par l'étude de l'art pariétal. Les sculpteurs ont pris soin de respecter les mensurations générales et celles des détails anatomiques de façon proportionnelle, qu'il s'agisse de mâles ou de femelles, de jeunes ou d'adultes.
Nous sommes en présence de bouquetins rassemblés géographiquement selon deux registres horizontaux (fig. 2). Le registre supérieur rassemble cinq sujets mâles adultes dont la robustesse se traduit par un traitement stylistique particulier de la musculature. La représentation de la barbiche ou du sexe permet d'affirmer qu'il s'agit de mâles. Le registre inférieur comprend une femelle (étagne) et un jeune (cabri), ainsi qu'une tête de vieux mâle. Ces deux ensembles pourraient correspondre à une harde et à une chevrée. L'organisation sociale des bouquetins et les déplacements de ces derniers varient selon les saisons. Il semble que le jeune cabri figuré pourrait, d'après sa taille, être âgé de six mois. La période des naissances étant au printemps, on peut émettre l'hypothèse que la période figurée par l'artiste correspond à la migration d'automne, au moment où les deux groupes se retrouvent pour passer l'hiver ensemble.
Les trois premiers sujets mâles adultes du registre supérieur sont comparables par leurs proportions et leur hauteur de garrot. La largeur de la base de leurs cornes les place dans la catégorie des jeunes adultes, âgés de deux à six ans. Les deux premiers bouquetins se suivent. En position d'arrêt, de profil droit, ils se tournent de trois quarts vers l'observateur. Leur poitrail, large et fortement en relief, renforce leur aspect imposant. Les pattes, robustes et trapues, sont écartées et appuyées. L'artiste a soigné les tendons, bien visibles, et l'appui des sabots (fig. 3). Un bourrelet marque l'écrasement de la sole. L'ergot est souligné. La tête du premier bouquetin, trouvée à la fouille, a pu être raccordée. La bouche entrouverte, les narines écartées, l'œil largement ouvert et accentué par le dessin de son orbite, offrent une image de bouquetin bien vivant et aux aguets.
Le bouquetin qui suit est également de profil droit, en position statique (fig. 4). Son arrière-train est similaire à ceux des individus précédents. Ses membres antérieurs ont été détruits. Sa tête est particulièrement bien mise en relief. Son caractère masculin est relevé par des cornes bien développées en forme d'arc à la base large, sa barbiche et le fourreau du sexe. La langue tirée et l'œil gravé en amande, l'oreille droite en relief et les naseaux finement sculptés lui donnent un aspect vivant. Cependant, son traitement présente quelques particularités. Le négatif de la sculpture suggère le contour dorsal d'un bison. D'ailleurs, les éléments « bison » sur ce bouquetin se retrouvent également au niveau du garrot, trop imposant et trop anguleux. Cet animal, dans une ancienne version, a été un bison. Par ailleurs, des zones de creusement sur la fesse, la hanche et le ventre mettent en jeu différents reliefs. Les variations d'éclairage et une bonne position de l'observateur révèlent le volume d'un corps à l'intérieur même du bouquetin, un troisième animal serait donc à prendre en compte. Il pourrait, d'après les formes et les proportions, s'agir d'un cheval.
Ce registre supérieur se termine par un groupe de deux bouquetins mâles affrontés, l'un tourne la tête, l'autre est de profil gauche. Le premier est en position d'arrêt et regarde vers l'arrière. Son arrière-train est calé sur le bord de la paroi saillante ; son attitude suggère un bouquetin en position difficile sur un relief abrupt et regardant vers le vide. Le bouquetin juxtaposé est une belle image de bouquetin mâle : la barbiche, le sexe et les cornes courbes bien développées sont indiqués. Son contour est massif ; son poitrail, développé ; la ligne de ventre, généreuse. Le mouvement ample des pattes accentue son aspect robuste et sa vitalité.
Dans le registre inférieur, la jeune femelle est sculptée en fort relief, avec un corps massif et épais. Ses pattes sont soigneusement traitées et plus graciles que celles des mâles. Leur position montre un animal bondissant plein de vitalité. La taille et la morphologie des cornes ne laissent pas de doute sur son caractère féminin et sa jeunesse. Le jeune bouquetin est debout, statique. Sa position dans une zone plutôt concave sur la paroi le met au second plan, en perspective par rapport à la femelle volumineuse. Son relief très léger, atténué, souligne sa fragilité et sa jeunesse. Il se superpose à un bison et à une figuration féminine antérieurs. Juste derrière l'étagne, on peut lire une tête de vieux bouquetin de profil gauche. On distingue la barbe, la bouche, le museau, l'œil, le chanfrein concave, le front et le départ d'une corne imposante.
Représentant une image du monde telle que voulaient la transmettre les Hommes du Magdalénien, cette mise en scène éloquente d'un troupeau de bouquetins reflète leur grande connaissance du monde animal et de son éthologie.

Animal(aux) emblématique(s)

Le bouquetin le plus emblématique de l'abri du Roc-aux-Sorciers est sans doute l'étagne. Surnommée « la Bouquetine », elle est le seul sujet féminin de la frise des bouquetins. Elle est figurée à la suite du cabri et forme avec lui la chevrée. Ces deux sujets ont été réalisés aux dépens d'une figure féminine et d'un bison (fig. 5).

Références

Saint-Mathurin 1984, Iakovleva & Pinçon 1997, Pinçon 2009, Bourdier 2010, Valensi & Boulbes 2018.

Licence

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Citer ce document

Pinçon, Geneviève 2022. Roc-aux-Sorciers, abri (Angles-sur-l’Anglin, Vienne, France) in : Averbouh A., Feruglio V. & Plassard F. Dir. Base Jean Clottes - Animal Representation, Les représentations animales depuis la Préhistoire, "Dossier Bouquetin", mis en ligne le 28 Septembre 2022, actualisé le 7 Janvier 2024, consulté le 28 Mars 2024, https://animal-representation.cnrs.fr/s/bjc/item/6244

Citer le document original

Pinçon, Geneviève. Roc-aux-Sorciers, abri (Angles-sur-l’Anglin, Vienne, France) in : Averbouh A., Feruglio V., Plassard F., Sauvet G. Dir. Bouquetins et Pyrénées - II - Inventaire des représentations animales du Paléolithique pyrénéen. Offert à Jean Clottes, Conservateur général du Patrimoine honoraire, 2022, 654 p.

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* Pour des raisons de sécurité des sites archéologiques, les géolocalisations signalées dans la BJC pointent vers les mairies des communes considérées.