Origine et zoologie des Cerfs
Systématique
Le cerf noble, « roi couronné » et deuxième plus grand Cervidé de nos contrées, est désigné scientifiquement par un binôme latin qui comporte le nom du genre et celui de l’espèce, chacun étant suivi du nom du premier descripteur et de la date de la description : genre Cervus Linné, 1758 – espèce Cervus elaphus Linné, 1758. Plusieurs noms vernaculaires le désignent : cerf noble, cerf rouge et cerf élaphe. Cette dernière appellation est un pléonasme car Cervus (en latin) et elaphos (en grec, ἔλαφος) signifient tous deux « cerf » ! Cet animal est un élégant ongulé, haut sur pattes, pourvu d’une queue courte. Sa tête est dotée de longues oreilles et de deux expansions osseuses caduques, plus ou moins ramifiées, appelées bois, apanage des seuls mâles.
D’un point de vue de la systématique, le cerf noble est intégré dans l’ordre des Cétartiodactyles, dans la super-famille des Cervoidea et dans la famille des Cervidés dont la classification est complexe. On dénombre environ 17 genres et 47 espèces répartis dans deux sous-familles : les Capreolinés et les Cervinés. Chez les Capreolinés on distingue deux tribus, Odocoileini et Caprolini, et chez les Cervinés une seule tribu, Cervini. Le cerf noble est classé dans ces deux dernières catégories.
La sous-famille des Cervinés, outre le cerf noble, comprend le wapiti nord-américain et asiatique, le cerf des Philippines, le cerf sika (tous du genre Cervus), le cerf d’Eld (ou Thamin ou Thameng ; genre Panolia) le barasinga (ou barasinghaou ou cerf de Duvaucel ; genre Rucervus), le cerf à museau blanc (ou cerf de Thorold ; genre Przewalskium), le daim (genre Dama), le cerf axis, le cerf cochon, le cerf de Bawean et le cerf Calamian (ou Cerf-cochon calamien) (tous du genre Axis), le cerf du père David (ou elaphure ; genre Elaphurus), le muntjac (genre Muntiacus), l’élaphode (ou cerf huppé ; genre Elaphodus), le cerf rusa (ou cerf de Java) et le cerf sambar (les deux du genre Rusa).
Morphologie
Comme chez tous les Cétartiodactyles, le cerf noble a un nombre pair de doigts, avec l’axe du membre passant entre les rayons n° III et n° IV, c’est à dire entre les métacarpiens/métatarsiens n° III et n° IV qui deviennent dominants et entre les doigts correspondants, et un talus (ou astragale) à double poulie. Certains ossements des membres sont fusionnés : à l’avant-bras, le radius et l’ulna, ce qui interdit toute rotation de la main ; au poignet (appelé « genou » chez les ongulés), le capitatum (ou grand os) et le trapézoïde (capitato-trapézoïde) ; à la jambe, le tibia et la fibula dont ne subsiste que la partie inférieure formant un os isolé : l’os malléolaire ; à la cheville (appelée « jarret » chez les ongulés), le cuboïde et le naviculaire qui forment le cubonaviculaire, réceptacle de la poulie inférieure du talus et de la base du calcanéum.
L’intégration du cerf noble dans la famille des Cervidés résulte de la présence des bois recouverts d’une peau vascularisée, le « velours », qui couvre l’os proprement dit, de la fusion des métacarpiens/métatarsiens n° III et n° IV et de la présence de métacarpiens/métatarsiens n° II et n° V : il possède donc 4 doigts par patte, deux centraux développés et 2 latéraux plus petits.
Le cerf noble est un ruminant herbivore. Il a donc une dentition adaptée à la consommation de végétaux et un estomac à 4 poches. Après une prédigestion dans la panse la nourriture est régurgitée et mâchée une deuxième fois avant d’être à nouveau avalée pour transiter dans les autres réservoirs gastriques. Il dispose de 34 dents. Il n’y a pas d’incisives sur l’arc dentaire supérieur et les canines supérieures (ou craches) sont réduites. La canine inférieure ressemble à une incisive. Ses prémolaires (trois par côté ; la première prémolaire a disparu) et ses molaires (trois par côté) ont une structure permettant le déchirement en lambeau des aliments : les denticules constitutifs sont étirés de l’avant vers l’arrière et différenciés en crêtes (type sélénodonte). La couronne est basse (type brachyodonte).
Répartition
Les Cervidés occupent des milieux variés de l’Eurasie, de la Malaisie, d’Afrique du Nord et des Amériques.
Le cerf noble est inféodé aux milieux forestiers, feuillus et conifères, mais s’adapte aussi aux espaces dégagés telles les prairies. Il est capable de coloniser les hautes montagnes. Plusieurs sous-espèces ont été dénombrées du fait de son importante distribution géographique qui s’étend de l’Europe occidentale à l’Europe centrale. Les analyses génétiques ont permis de clarifier la position systématique de certaines d’entre elles qui désormais sont placées dans des espèces différentes (Markiewicz et al. 2022).
En Europe occidentale et centrale cinq sous-espèces de cerf noble sont reconnues : le cerf noble stricto sensu (C. e. hippelaphus Erxleben, 1777 ; France, Allemagne, Suisse, Autriche, Danemark, ouest des Carpathes) ; le cerf d’Espagne (C. e. hispanicus Hilzheimer, 1909), le cerf de Grande-Bretagne (C. e. scoticus Lönnberg, 1906), le cerf norvégien (C. e. atlanticus Lönnberg, 1906), le cerf corse (C. e. corsicanus Erxleben, 1777 ; Corse et Sardaigne). Dans le Caucase, l’Anatolie et la Crimée l’espèce est représentée par le maral (C. e. maral Ogilby, 1840). L’Afrique du Nord abrite le cerf de l’Atlas (C. e. barbarus Bennett, 1833).
Origine et diversité
Les Cervidés sont connus dès le Cénozoïque, plus précisément au Miocène, avec les genres Procervulus, Dicrocerus, Acteocemas, Euprox, Amphiprox, Pliocervus. Vers 5,3 Ma (début du Pliocène) se remarque Croizetoceros (1m de hauteur au garrot, environ 60 kg) à allure « moderne » (Heintz 1970). C’est vers le milieu et la fin de cette période, aux alentours de 2,6 Ma, qu’apparait en Chine le genre Cervus avec C. magnus (= Pseudaxis magnus Zdansky,1925) qui pourrait être à la base de la lignée des wapitis (Croitor 2020). Aux alentours de 2 Ma, C. nestii (Azzaroli, 1947) représente le plus ancien représentant européen du groupe « elaphus » (Croitor 2006, 2011, 2018). Il est présent en Géorgie (= C. abesalomi Kahlke, 2001 ; gisement de Dmanisi : 1,8 Ma) ainsi qu’en Italie (Val d’Arno, Olivola). Son poids moyen est estimé à 60 kg.
Les premières traces de cerf noble sont connues aux alentours de - 900 000 ans (début du Pléistocène moyen) avec une sous-espèce aux bois dépourvus de couronne au sommet : c’est le cerf acoronate, C. e. acoronatus Beninde, 1937, d’un poids moyen estimé à 237 kg ce qui correspond au gabarit d’un wapiti actuel. Il est identifié en Allemagne (= C. elaphoides Kahlke, 1960 = C. reichenaui Kahlke, 1996), en France, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas et en Angleterre. Entre 600 000 et 500 000 ans, débute la complexification des bois. En France, le cerf de type couronné est connu aux alentours de – 400 000 ans dans le site de la Caune de l’Arago (Pyrénées Orientales) (Magniez et al. 2013).
L’importante plasticité écologique de l’espèce et sa faculté à coloniser des milieux variés est à l’origine de la distinction de plusieurs sous-espèces, au Pléistocène moyen et au Pléistocène supérieur (Croitor 2018). En Allemagne est connu le C. e. angulatus Beninde, 1937 (fin du Pléistocène moyen, 250 000 ans) ; il serait le descendant direct de C. e. acoronatus. En Italie, trois sous espèces ont été définies. Il s’agit de C. e rianensis Leonardi & Petronio, 1974 (= C. e. eostephanoceros Di Stefano & Petronio, 1993), de la fin du Pléistocène moyen, qui serait un descendant endémique de C. e. acoronatus, de C. e. siciliae Pohlig, 1893 (fin du Pléistocène moyen, Pléistocène supérieur) localisé en Sicile et de C. e. aretinus Azzaroli, 1961 (Pléistocène supérieur ; peut-être synonyme de C. e. maral Lydekker, 1898).
En France, un cerf de petit gabarit, aux dents à la structure plus primitive que chez les autres populations fossiles de cerf, a été identifié dans plusieurs niveaux archéologiques à industrie moustérienne (Couches 54 à 50A ; MIS 5) de l’abri de Combe-Grenal (Dordogne) : il s’agit de C. simplicidens Guadelli, 1997. Toutefois, ce taxon a été invalidé car le nom de l’espèce avait déjà été utilisé par R. Lydekker (1876) d’une part, et les critères morphologiques particuliers des dents s’observent ponctuellement dans des populations de C. elaphus d’autre part (pour plus de détails voir Croitor 2018). Récemment, plusieurs sous-espèces fossiles attribuées au cerf noble ont été redéfinies et sont considérées comme des wapitis, C. canadensis,
Evelyne Crégut-Bonnoure, conservatrice honoraire, Muséum Requien, Avignon & UMR 5608 TRACES, Toulouse, France
Citer ce texte : Crégut-Bonnoure E.,2023. Origine et zoologie du cerf in : Averbouh A., Feruglio F. & Plassard F. Dir. Base Jean-Clottes - Animal Representation, Les représentations animales depuis la Préhistoire, "Dossier cerf“, mis en ligne le 18 octobre 2023
Références utilisées
Croitor R. 2006. Early Pleistocene small-sized deer of Europe. Hellenic Journal of Geosciences, vol. 41, 89-117
Croitor R. 2011. Early Pleistocene deer Cervus nestii (Cervidae, Mammalia) and the earliest dispersal of the genus Cervus (sensu stricto) in Western Eurasia. In Actual problems of protection and sustainable use of animal world diversity, International Conference of zoologists, Chisinau: 203-204
Croitor R. 2018. Plio-Pleistocene deer of Western Palearctic: Taxonomy, Systematics, phylogeny. Institute of Zoology of the Academy of Sciences of Moldova: 140 p.
Croitor R. & Crégut-Bonnoure É (soumis). From Continents to Islands: Tracking the Red Deer (Cervus elaphus) and its "Troublesome Cousin", the Wapiti (Cervus canadensis) in Europe in : Averbouh A. & Mashkour M. dir. Anthropozoologie du cerf élaphe. Illustrée par des témoignages archéologiques, historiques et ethnographiques, Anthropozoologica.
Croitor R., Obada Th., 2018. On the presence of Late Pleistocene wapiti, Cervus canadensis Erxleben, 1777 (Cervidae, Mammalia) in the Palaeolithic site Climăuți II (Moldova). Contributions to Zoology, 87 (1) 1-10
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